- IV-
Voci
Balais brosse en main et serpillère, je suis en train de laver le sol bleu immonde de la bibliothèque… Y’a rien de plus chiant à faire alors que les rayonnages sont étroit et les vieilles étagères branlantes risque de se casser la gueule à tout instant et m’ensevelir sous les bouquins. Mais bon, c’est tout de même mieux que de récurer les chiottes… En plus je suis tout seul et donc tranquille !
Il ne manquerait plus qu’un peu de musique… Il faut que je vois pour récupérer un MP3 quelque part… En attendant je sifflote un air des Red Hot ! Ça me vide la tête et m’empêche de penser aux mauvaises choses… Franchement, je regrette mon taffe au conservatoire alors que j’entendais toujours de la musique et surtout, de plein de style différent, en passant ma serpillère devant les salles de classe… Par contre je ne regrette pas de ne plus croiser ses fils de bourges pédants et prétentieux ! Enfin bref, ce temps là est révolu…
J’ai d’autres regrets.
J’ai commencé par le fond de la salle en reculant vers l’unique porte et voici que j’arrive au comptoir. Je commence à avoir mal au dos à être baissé comme ça ! Woaaa, ça craque !
Je m’étire avec plaisir et fait tourner mon buste sur les côtés, craquant un peu ma nuque au passage.
- Putain ! je lâche soudainement dans un sursaut, les yeux écarquillés et le cœur qui tambourine
Il y a un mec qui se tient derrière le comptoir et qui me regarde sans ciller. Un badge sur sa blouse orange stipule qu’il est le responsable du lieu. Mais ça m’a fait flippé dans la mesure que ce type n’est autre que le gars au sourire d’ange qui était face à moi à l’infirmerie.
Les cicatrices de ses joues semblent être bien refermées mais reste encore rosées. Je cligne, reprenant contenance, bien que mon souffle soit encore un peu irrégulier.
Il m’a vraiment fichu les chocottes !
On se fixe quelques instants et puis le gars baisse les yeux vers son ordinateur, se mettant certainement à faire son boulot. Y’en a qui se font pas trop chier ici quand même… Mais je me demande ce qu’il a fait comme métier avant pour se retrouver responsable de la bibliothèque… C’est quand même une bonne planque… ! Enfin, j’dis ça mais il s’est quand même fait agresser…
Ouais, la bibliothèque est un lieu assez isolé tout de même…
Brrr, j’en ai des frissons tout d’un coup !
Vite vite, je termine mon taffe et me tire d’ici !
Bref regard circulaire dans la pièce et je me remets à jouer de ma serpillère. En 5min à peine j’ai terminé et sort en vitesse en poussant mon chariot.
J’ai besoin d’une clope et me dirige donc vers la cours après avoir rangé mon bordel dans la régie appropriée et cherche la carrure rassurante de Demba qui est censé m’attendre.
- Hey je suis là p’tite tête ! fait la voix de mon ami que je rejoins rapidement
- Salut j’allume ma clope Bien bossé ?
- Oui, on a planté des bouleaux ! Et toi ?
- Ça va… je tire sur ma clope J’étais à la bibli… Y’avait le type au sourire d’ange derrière le comptoir.
- Ah ! Angelo ! Il est sorti de l’infirmerie, c’est cool pour lui. Fait Demba dans un sourire avant de s’allumer lui aussi une cigarette
- Angelo… ?
- Ouais, c’est son nom… Enfin, surnom plutôt. Personne ne connaît son véritable prénom, c’est Lorenzo qui l’a surnommé ainsi à son arrivée à la prison…
- Lorenzo ?
- Ouais, c’était son… « Protégé »… répond Demba en faisant les guillemets avec ses doigts
Bah, c’était le protégé de Lorenzo… ? Alors comment ça se fait qu’il ait été torturé ainsi… ? Si Lorenzo est le shutcall de la prison, ça m’étonne que son protégé est été ainsi attaqué…
- C’est un type assez spécial Angelo…
- Ça fait longtemps qu’il est ici… ?
- J’sais pas trop, un ou deux ans je pense, il était déjà là quand je suis arrivé ici.
- Oh…
- Ouais, mais comme je te dis, personne ne sait grand-chose de ce mec. Il ne parle presque pas, enfin pour ma part, je n’ai jamais entendu le son de sa voix ! Du temps où Lorenzo l’avait pris sous son aile, il le suivait comme un toutou… En faite, la seule fois où j’ai entendu sa voix c’est quand il s’est fait agressé… Tout le monde l’a entendu, il hurlait si fort que ça a raisonné dans l’intégralité du bâtiment…
- Putain… !
Et bien heureusement que je n’étais pas là ce jour là… ! Mais alors, ça veut dire qu’il est resté à l’infirmerie plus d’un mois vu que moi je me suis fait tabassé à peine un mois après mon arrivée…
Ça me fait mal au bide cette histoire…
- Ouais, « putain » comme tu dis… il tire sur sa clope et j’en fais autant Enfin, Lorenzo doit être content qu’il soit sorti…
- … Quand tu dis protégé, tu veux dire que… ? je fixe mon ami
- Qu’ils baisaient ensembles ? Ouais, c’est ça…
Pourtant Lorenzo me gravite autour ces derniers temps… Raaah punaise, c’est quoi ce bordel ! Je pige vraiment rien !
- Bref, on va faire une partie de basket ? reprend Demba, coupant court à mes tergiversations
Je réponds d’un hochement de tête et termine ma clope avant de le suivre sur le terrain où nous rejoignons la bande de black avec qui nous jouons à chaque fois.
Plusieurs minutes passent ainsi et j’en oublie toute cette histoire mais nous sommes stoppés par de stridents coups de sifflet alors que trois gardiens débarquent en trombe. Je n’avais pas remarqué, tout à mon jeu que j’étais mais il y a du grabuge dans un coin de la cours.
Bien entendu, tout le monde s’approche et fait cercle. Au milieu, Lorenzo, cheveux en pagaille et visage crispé de colère. J’entends des chuchotements qui disent qu’il vient de péter un câble et lève ensuite les yeux vers Demba qui vient de pousser un profond soupire.
- Tous les premiers mercredis du mois c’est la même rengaine avec ce type…
- Comment ça… ?
- Le type qui l’a fait mettre en tôle vient rendre visite à un prisonnier ces jours là…
- C’est qui ce type ?
- … Masato Slay… répond Demba dans un murmure en me regardant
- … Attend, tu veux dire, LE Masato Slay ? Le patron des entreprises Slay ?
- C’est ça…
- Mais, pourquoi donc… ?
- T’es pas au courant ? Ce mec est aussi le chef de la mafia d’Aves… Enfin, selon les rumeurs…
- Wow… !
Je suis sur le cul. Cette ville est donc pourrie jusqu’à la moelle… ?
Merde ! Se sont ces entreprises qui fait quasiment entièrement tourner Aves et qui l’ont fait connaître dans le monde entier !
Le fin rire de mon ami me fait ciller.
- Et ouais bonhomme, c’est la dure réalité…
Je ne réponds rien et retourne mon regard vers Lorenzo qui est en train de se faire maitriser par les gardiens. Il continue de gesticuler, gueulant mais avance tout de même dans la direction imposée.
Le cercle de curieux s’ouvre alors pour les laisser passer et le regard gris de l’italien se pose sur le mien.
- Hey !Cara mio ! Quel plaisir de te voir ! me lance-t-il dans un sourire étrangement diabolique alors qu’il cherche encore à se défaire de l’emprise des gardiens Je m’en vais faire un petit séjour à l’ombre durant quelques heures ! Profite bien de ta journée !
Un rire qui me fait trembler de la tête aux pieds raisonne alors et je ne peux ôter mon regard de lui alors que les gardiens l’emmènent à l’intérieur.
- Hey ça va ‘tite tête ? me fait Demba en posant sa main sur mon épaule
- Ou-ouais… je réponds d’une voix pas vraiment rassurée en relevant les yeux vers lui
- … Fais gaffe, sérieusement…
J’hoche la tête.
C’est clair, il ne faut vraiment pas que je m’approche de ce type… Et que je ne lui parle pas, bien qu’il vienne me voir… Qui sait ce qu’il pourrait me faire subir…
Les voix des autres prisonniers me ramènent sur terre alors que plusieurs doigts sont pointés vers le corridor vitré du deuxième étage du bâtiment qui donne sur la cours. Par réflexe, je regarde moi aussi et vois alors un homme en costume foncé et long cheveux ramené en une queue de cheval sur son torse qui fixe la cours, mains croisées dans son dos.
C’est un asiatique.
- Et bien, quand on parle du loup… fait Demba dans un soupire
… C’est donc lui, Masato Slay… ? J’me disais bien que sa gueule me revenait, j’ai vu des photos de lui dans les journaux…
- Bref, aller, retournons jouer, il nous reste 10min de pause ! reprend mon ami avant de me pousser doucement vers le terrain de jeu
Je baisse donc les yeux et me laisse pousser. J’ai les pensées qui s’embrouillent pas mal…
Le jeu reprend, notre équipe à la balle et Demba me l’envoie. Relevant alors les yeux, je croise ceux du mec qui se fait appeler Angelo.
Perturbé, je me fais piquer la balle alors que je ne peux détacher mon regard du balafré qui me fixe aussi avant de croquer dans une pomme et rentrer dans le bâtiment comme si de rien n’était.
Depuis quand il est là celui-là ?! Et pourquoi me fixait-il ainsi ?!
- Hey ! Mais qu’est-ce que tu branles Tom ?! Si tu te bouges pas on va perdre ! me fait sursauter la voix de Demba et me remet les pieds sur terre
Je m’active donc sur le terrain mais mes pensées sont encore plus embrouillées qu’avant…
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J’ai entendu dire que si Lorenzo s’est retrouvé en taule c’est qu’il n’a pas voulu intégrer la bande de Masato Slay… Il lui faisait de l’ombre.
J’voudrais pas me retrouver entre eux deux si jamais ils se croisent en vis-à-vis…